Le monument et son contexte hydraulique


Hang Peou |

Les temples khmers construits sur le territoire de Siem Reap ont des soubassements qui ne sont pas assez solides pour soutenir le poids des temples. Pour remédier à cet inconvénient, la terre d'origine a été enlevée et remplacée par du sable humidifié par un système hydraulique (barays, douves, canaux, bassins versants) particulièrement sophistiqué.  

FR : LE MONUMENT ET SON CONTEXTE HYDRAULIQUE

Ici, je suis sur le barrage de notre chantier Mebon, comme vous pouvez le voir, ce n’est qu’une partie de Mebon occidental. Derrière moi, le volume de l’eau stockée est d’une quantité non négligeable. Il est de 56 millions de m3 destinée à l’usage. Et par là, nous avons créé des écluses permettant de contenir de l’eau à l’irrigation. Nous déployons nos efforts dans la conservation de l’eau permettant ainsi à la population en aval de s’en servir pour arroser les terres de plus de 5000 ha de superficie tout en évitant les problèmes au détriment des travaux en cours pendant une période d’une année entière dans notre chantier de Mebon.

J’aimerais vous parler du système hydraulique khmer. Ce Baray Occidental est à usage depuis les constructions des temples au XIème siècle jusqu’à nos jours et joue toujours un rôle très important de collecte d’eau, quoi que ce réservoir ait été à une certaine période contenu de moins de son volume aquatique que par le passé. Il se trouve effectivement en aval du cours d’eau.

A la lecture de la carte, les barays sont, en fin de compte, au nombre de 5 : celui de Lolei, celui de l’est d’Angkor Vat, le Baray Oriental, le Baray Nord et le Baray Occidental.

En termes de système de stockage d’eau, on constate l’existence des barays et des douves. L’ensemble constitue un système de réservation d’eau d’un volume de plus de 100 millions de m3 d’eau : à remarquer que l’objectif de la conservation de cette grande quantité d’eau était surtout en lien avec la construction des temples. Vous savez que les temples khmers ont été construits sur le territoire de Siem Reap où les soubassements ne sont pas assez solides pour soutenir un poids important des temples. Ces derniers ont été érigés avec des blocs de pierres superposés. Cela veut dire que s’il y avait un quelconque mouvement des pierres, le temple pourrait s’écrouler. Or, nos ancêtres ont découvert la manière dont ils s’y procédaient pour maintenir sa solidité lui permettant de perdurer des milliers d’années en se servant du sable mouillé. C’est-à-dire qu’avant la construction, ils ont enlevé de la terre d’origine et l’ont remblayée par le sable. Le plus important, c’est qu’il fallait du sable humidifié par de l’eau dans la nappe phréatique. D’où venait cette eau souterraine ? Comme je vous ai dit, elle était issue de l’eau contenue dans les barays et les différents canaux qui se jettent là comme ils sont présentés sur la carte.

J’aimerais vous dire que la solidité du sable peut être prouvée avec l’expérience suivante : à la plage, lorsque vous vous placez sur du sable mouillé, vous vous rendez compte que vos pieds ne s’enfoncent pas. Au contraire, quand il est sec, ils s’enlisent.

Donc, nos ancêtres se sont servis de cette approche avant la construction des temples : ils enlevaient de la terre substituée par le sable. Et puis, ils ont construit les douves. Ces dernières jouent un rôle très important. Primo, elles absorbent de l’eau pour éviter que les temples soient inondés. Secundo, elles réservent de l’eau qui s’infiltre dans la couche du sable en dessous des temples.  

Donc, ici, vu le volume des canaux, des barrages, des bassins d’eau et des douves, on peut dire que le principal but était de rehausser le niveau d’eau souterraine permettant ainsi l’équilibre des temples. Ces derniers dépendent donc de l’eau souterraine. Un autre rôle important des barays, surtout le Baray Occidental, c’est qu’il sert à irriguer les plantations comme en témoignent certains canaux anciens existants situés en aval.

Actuellement, le nombre des visiteurs a beaucoup augmenté. Ils sont de plus en plus nombreux. Et les hôtels, les restaurants… tous les habitants de Siem Reap utilisent l’eau issue de la nappe phréatique. C’est-à-dire qu’ils pompent de l’eau souterraine pour l’usage quotidien. Nous savons très bien qu’à force de puiser cette nappe, son niveau se réduit. Cela entrainera l’effondrement de certains temples. C’est pourquoi la rénovation de l’ensemble du système hydraulique – des barays, des douves, des canaux, des bassins versants – est d’une grande importance pour stabiliser les temples sans pour autant toucher les activités de conservation et de développement. Ce qui veut dire que le rôle de l’Autorité nationale APSARA, surtout celui de la gestion des ressources naturelles est de faire en sorte que l’accueil des visiteurs qui sont venus nombreux à Siem Reap ne porterait pas atteinte à la conservation des temples. C’est donc une tâche difficile à faire. Et en même temps, il faut s’assurer qu’il y ait assez d’eau à fournir aux visiteurs venus sur place. Il s’agit d’une part importante de notre rôle que nous jouons pour faire le lien entre ces deux domaines. Il faut veiller à employer a maxima par le biais des équipes de travail de l’Autorité nationale APSARA, surtout celle de la gestion des ressources naturelles, les systèmes hydrauliques anciens. Il faut éviter de créer de nouveaux bassins, de nouveaux canaux, de nouveaux barrages. Il faut par contre réparer et faire renaître les ouvrages de nos ancêtres qui avaient fait passer le système hydraulique du plus petit au plus grand. Aujourd’hui, nous avons rénové et mis en œuvre bon nombre d’entre eux parce que nous avons compris leurs rôles de conservation et de maintien d’équilibre des temples ainsi que celui du développement de la ville entière.

Ici, nous sommes à Mebon, au Baray Occidental, appelé aussi le baray à l’eau transparente. Nous avons un chantier de rénovation de Mebon. Il s’agit d’un projet de partenariat entre l’Autorité nationale APSARA et l’EFEO, un des projets dirigés en co-présidence franco-khmère. Pourquoi cette rénovation ? C’est que le temple de Mebon se situe au milieu de l’eau. Et on sait que ce Baray Occidental a un rôle très important pour irriguer, sur une superficie de plus de 5000 ha, les plantations appartenant à la population vivant en aval du bassin. Nous ne pouvons donc pas mettre à sec le baray pendant un an aux vues de la rénovation sans penser à la population. Pour s’assurer que nous puissions effectuer nos travaux pendant 12 mois entiers et que les habitants arrivent à se servir suffisamment de l’eau pour leurs rizières également durant 12 mois, nous avons donc construit un barrage sur un rayon de 30 m autour du temple, cela nous permet de transporter jusqu’ici les matériaux lourds nécessaires aux travaux pendant 12 mois : la grue qui transporte des pierres et qui effectue leur montage.

Par ailleurs, la construction du barrage s’est fait en s’appuyant sur une expérience issue d’une étude sur le système hydraulique khmer ancien au temple de Neak Poan et du Baray Nord pour réduire les infiltrations d’eau dans le chantier car la quantité d’eau extérieure peut dépasser celle de l’intérieur de 4 m. Par conséquent, l’infiltration est forte. Pour ce faire, nous avons fait usage de petites pompes à eau pour évacuer de l’eau vers l’extérieur, pour permettre au chantier de fonctionner comme il faut sans empêcher la gestion globale de l’eau.

D’usage fonctionnel depuis le XIème siècle, l’eau dans ce barrage, le plus grand dans son genre, se voit gérée dans son volume équivalent à 56 millions de m3. Elle est également servie à l’irrigation.

Donc, pour assurer l’opération dans ce chantier, dans une situation où l’extérieur est couvert d’eau alors que l’intérieur en est privé, nous avons basé sur les opinions prononcées à propos de l’eau pour effectuer cette tâche.

Nous sommes à Neak Poan. Ici, je souhaite donner une explication sur le système hydraulique khmer avec un exemple assez compréhensible, car par le biais de ce temple, un non-spécialiste pourrait comprendre très facilement son fonctionnement. Neak Poan possède donc 5 bassins, dont le plus grand se trouve au milieu, celui-ci entouré donc par les 4 autres. L’eau qui se jette ici dans les 5 bassins n’est pas transportée par le moyen des tuyaux ou par des canaux. Neak Poan est une île au milieu d’un baray appelé aujourd’hui le Baray Nord (anciennement nommé Baray Reach Dak ou baray Jayatataka en langue sanskrite) construit par le roi Jayavarman VII.

Donc, ce temple Neak Poan possède 5 bassins et contient de l’eau grâce au Barrage Nord. Quand il y a de l’eau dans ce dernier dont le niveau d’eau est supérieur, elle s’infiltre dans la terre et rentre dans le bassin central. Elle monte à une hauteur équivalente à ce templion entouré des 4 petits temples, à l’œil nu, cela équivaut à 3 marches du haut ou à 28,5 en comparaison avec le niveau de mer. À ce moment-là, l’eau se jette dans les 4 autres petits bassins à travers les anciennes constructions de templion, par le biais des lingas et sculptures intérieures, ce qui permet d’obtenir un tel niveau de l’eau. Pour assurer le cours d’eau, les lits des 4 petits bassins ont été solidifiés par des terres argileuses. Cette découverte a été prouvée par les fouilles à l’issue desquelles nous avons trouvé une couche d’argile sur le lit des 4 bassins. Le but était d’éviter que l’eau venue du Baray Nord s’infiltre directement dans les petits bassins mais d’abord dans le bassin central avant de se déverser dans les petits. Aujourd’hui, le mouvement de l’eau ne passe pas par les constructions de templion en raison d’une installation des tuyaux d’eau lors des rénovations françaises entre le Bassin central et les petits bassins, le but étant d’obtenir beaucoup d’eau dans le bassin central à partir des petits. Cela veut dire que quand l’eau monte, elle passe des petits bassins vers le grand.

En présentant les dessins, vous comprendrez comment l’eau dans son ensemble à Angkor, comme je vous ai expliqué plus haut, aide à fournir la nappe phréatique. C’est uniquement par infiltration. C’est cette infiltration souterraine qui humidifie les couches souterraines du sable en dessous des temples. Et l’exemple le plus simple à comprendre, se trouve dans ces illustrations : l’eau passe de l’extérieur pour remplir le bassin central avant de se déverser dans les petits. C’est un point assez compréhensible pour les non spécialistes à propos de la gestion d’eau.

Par ailleurs, avec l’illustration suivante, il y a aussi une communication à longue distance. Entre le Baray Nord et le Neak Poan, il est facile d’admettre un rapport de proximité, or il existe aussi un exemple de rapport entre le Baray et les douves de Preah Khan aussi par infiltration souterraine comme dans l’illustration.

Ici, je suis au Barrage Nord, à l’est de Preah Khan. Je souhaite le montrer dans le système hydraulique khmer de l’époque ancienne. Plus haut, j’ai parlé des fonctions des barays dans le maintien de l’équilibre des temples, dans l’irrigation, dans l’usage divers dans la ville. À cela s’ajoute un autre rôle important depuis toujours, intrinsèque dans le système hydraulique de l’époque, c’est celui de réguler les inondations. Le stockage de l’eau dans tous ces barays réduit [le volume d’eau]. Concrètement, pour les récentes inondations qui se sont produites entre 2009 à 2012, tous les problèmes ont été résolus par le biais des barays. Le Baray Nord et le Baray Occidental jouaient le rôle le plus important du fait qu’ils absorbaient de l’eau permettant à la population vivant en amont ainsi que les temples de s’échapper aux inondations. Ces barays sont liés au système hydraulique du nord dont le point de repère se situe dans les écluses derrière le temple de Ta Som. Ces constructions anciennes et récentes redistribuent 30% du volume d’eau vers la ville de Siem Reap et les 70% restant ont été répartis vers l’ouest et l’est par le biais de nos systèmes de canaux à travers lesquels l’eau se jette dans le Barays Nord, le Baray Oriental, le Baray de Roluos et celui à l’est d’Angkor Vat. C’est tout un système. Si l’on arrivait à restaurer, par exemple, le Baray Oriental, celui de Lolei et celui du sud-est, cela signifie que nous pourrions conserver de l’eau non seulement pour maintenir l’équilibre des temples, nous protéger des inondations mais assurer le développement de la ville de Siem Reap.

Cette image faisait l’objet de ma présentation plus haut à Neak Poan. Je souhaite juste en montrer un aspect réel. Le niveau de l’eau des barays est supérieur à cette pente douce. Regardez le côté du temple de Preah Khan, à l’est, où il y a les douves. Lorsque l’eau du baray atteint un certain niveau, elle s’infiltre et aboutit à ces douves. Par le passé, ces dernières ne gardaient de l’eau que dans une petite partie nord-est pendant la saison des pluies et elles étaient pratiquement taries pendant la saison sèche. En revanche, depuis 2009, elles sont partout remplies d’eau grâce à l’infiltration depuis le Baray Nord. Tout cela nous permet de comprendre, comme je vous ai expliqué à Neak Poan, la façon dont fonctionne le système hydraulique souterrain khmer d’un endroit à l’autre. Et je souhaite vous dire qu’à l’époque, l’usage des tuyaux n’existait pas encore. Tout usage était à caractère naturel par infiltration, par l’irrigation et nous pouvons comprendre ce phénomène à l’aide de la théorie selon laquelle on place deux seaux d’eau dont l’un contient un niveau d’eau supérieur à l’autre. Donc, l’eau qui se trouve dans un lieu plus haut s’infiltre et remplit dans un autre inférieur. On se demande pourquoi de la partie basse ne se met pas au même niveau que la partie haute. Vous avez vu l’exemple du niveau égal de Neak Poan. Pour le cas de Preah Khan, [il n’y aurait pas cette égalité] du fait que l’eau continue à descendre progressivement vers les douves.

Hang Peou

Le Dr Peou Hang est directeur général adjoint de l’Autorité nationale Apsara. Il a obtenu son doctorat en 2002 de l’Université catholique de Louvain (UCL) en Belgique. Il a rejoint l’Autorité nationale APSARA en août 2004. Il a effectué des recherches sur les ressources naturelles et l’environnement du site du patrimoine mondial d’Angkor. Il est responsable de la gestion du vaste réseau de système hydraulique et du paysage culturel dans le parc d’Angkor. Le Dr Hang a réhabilité de nombreux systèmes hydrauliques anciens pour assurer la stabilité des temples et le développement durable de l’ensemble de la région de Siem Reap, ces réalisations sont : le Baray Nord (XIIᵉ siècle) qui a été asséché plus de 500 ans; la restauration du système original d’alimentation du Baray occidental (Xᵉ siècle), de la douve d’Angkor Thom, Preah Khan, Angkor Vat, Srah Srang, réservoir de Banteay Srei, les douves de Chau Srey Vibol et 58 kilomètres de canaux et de digues pour optimiser la gestion de l’eau et le monitorage des inondations. Il a également créé 9 stations de pépinière dans le parc d’Angkor pour reboiser la région et prendre soin de tous les vieux arbres dans les temples pour préserver le paysage culturel dans le parc d’Angkor. Il est non seulement responsable du parc d’Angkor mais également le point focal national pour le patrimoine naturel du Cambodge auprès du Comité du patrimoine mondial et professeur invité à l’Université de Kanazawa au Japon.

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